La conception
baudelairienne de la modernité constitue, au fond, une
réfutation du modernisme triomphal et tapageur du second Empire.
Rappelons-nous, à juste titre, que Victor Hugo, dans la préface de Cromwell,
tout en inscrivant sa réflexion dans le sillage de l’historicisme hégélien, se
forge une vision tripartite de l’histoire des arts, alléguant, par voie de
conséquence, que l’âge moderne est un dérapage vers la conciliation des
concepts les plus diamétralement dialectiques et que l’esthétique classique
concevait jusqu’alors dans un rapport d’exclusivité. Partant, son aspiration
vers une conception synthétique du « Beau » où le Sublime et
le grotesque ne feraient plus que les deux revers d’une même médaille,
constitue le premier effort instigateur vers l’élaboration d’une vision
théorique de la modernité.

C’est, entre autres, pour cette
raison que Baudelaire fait, d’ailleurs, de la notion de la représentation du
présent, l’un des points nodaux autour desquels s’articule sa théorie esthétique,
si théorie il y a. Dans le Peintre de la vie moderne, le « roi des
poètes », tel que le surnomme Rimbaud, a eu beau jeu de faire remarquer à
ses contemporains, que « le plaisir que nous retirons de la
représentation du présent tient non seulement à la beauté dont il peut être
revêtu, mais aussi à sa qualité de présent. » Il faut en déduire que
pour Baudelaire, la représentation du présent évoque une absence pleine d’une
présence vide, comme s’efforcera de le démontrer, plus tard, l’auteur de
« Du mouvement et de l’immobilité de Douve ». La modernité
aura donc désormais pour objet de représenter le présent, de le saisir dans sa
présence actuelle, de le transfigurer en beau moderne et, en même temps, de
dénoncer sa vulgarité, sa laideur, son manque d’héroïsme et de beauté, son
non-être. Représentation du présent, le beau moderne montre un réel présent
qu’il nie tout à la fois. Plus que cela, le beau moderne, en représentant le
monde présent, le donne en spectacle et montre son déficit originel : il
glorifie la beauté véridique de son apparence et dénonce le vide fantomatique
de son existence. Telle est la manière baudelairienne de dialectiser le
modernisme enflé et ampoulé du second Empire, tout adonné à la pathétique
exaltation de son propre présent.
Par conséquent, la modernité
baudelairienne naît du refus de l’histoire et s’érige en négation tant du beau
historique que du mythe du progrès. Elle forme une tentative d’éterniser le
présent, de le soustraire au Temps qui ne lui accorde qu’une existence
précaire, rappel du passé ou anticipation du futur. A dire vrai, la formule
apparemment tautologique de « la représentation du présent »
exprime le désir baudelairien de maintenir le présent dans une durée
temporelle, de loger le maintenant dans une enclave du temps historique. En un
mot, représenter le présent, c’est se soumettre au temps qui passe car « presque
toute notre originalité vient de l’estampille que le temps imprime à nos
sensations ». Or, épouser le temps, n’est-ce pas là le meilleur moyen
d’y échapper ? Y répondre ad rem, ce serait contrefaire toute la logique
de la modernité. Par ailleurs, dans Le Peintre de la vie moderne, Baudelaire
écrit que « la modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le
contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. ».
Donc, d’une part, selon Baudelaire, le travail de l’artiste consisterait à
unir la modernité avec la beauté éternelle pour créer une œuvre durable, belle
tant par son rattachement à l’idéal éternel que par sa conformité au goût de
l’époque. Mais, d’autre part, Baudelaire affirme que la modernité consiste à « dégager
de la mode ce qu’elle peut contenir de poétique dans l’historique, de tirer
l’éternel du transitoire. » Il ne s’agirait donc pas de créer le beau
en associant un élément éternel à un élément transitoire, mais d’extraire la
beauté éternelle de la beauté relative.
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