La conception baudelairienne de la modernité constitue, au fond, une réfutation du modernisme triomphal et tapageur du second Empire. Rappelons-nous, à juste titre, que Victor Hugo, dans la préface de Cromwell, tout en inscrivant sa réflexion dans le sillage de l’historicisme hégélien, se forge une vision tripartite de l’histoire des arts, alléguant, par voie de conséquence, que l’âge moderne est un dérapage vers la conciliation des concepts les plus diamétralement dialectiques et que l’esthétique classique concevait jusqu’alors dans un rapport d’exclusivité. Partant, son aspiration vers une conception synthétique du « Beau » où le Sublime et le grotesque ne feraient plus que les deux revers d’une même médaille, constitue le premier effort instigateur vers l’élaboration d’une vision théorique de la modernité. 
Résultat de recherche d'images pour "La modernité poétique chez Baudelaire"           A sa suite, Stendhal, dans son Racine et Shakespeare, éprouve de l’arduosité à déterminer la teneur de l’idéal moderne. Au terme de sa réflexion, il en vient à conclure que « le romanticisme » réside, tout simplement, dans la glorification du beau actuel, dans le goût propre au moment présent ainsi que dans l’idéal relatif et passager du beau. D’où il serait loisible d’arguer que, pour l’auteur de La Chartreuse de Parme, tous les grands auteurs sont les modernes du moment présent, mais les anciens du lendemain. En d’autres termes, toute modernité est condamnée d’avance au périssement. Ce paradoxe, Baudelaire en fera plus tard l’essence même de la modernité, la théorie d’un absolu relatif, d’une légitimité subversive, d’une permanence esthétique dans l’éphémère. Le moderne rejette le poids mort d’une tradition pétrifiée, exalte la beauté absolue du moment présent, mais se condamne, du même coup, à la tyrannie de l’Histoire. On n’est moderne que pour un instant liminaire, que pour une durée zéro dans la marche inexorable du temps. Celui qui, aujourd’hui se prétend moderne, sait qu’il devra, demain, céder à plus moderne que lui. Toute modernité implique sa propre négation.
          C’est, entre autres, pour cette raison que Baudelaire fait, d’ailleurs, de la notion de la représentation du présent, l’un des points nodaux autour desquels s’articule sa théorie esthétique, si théorie il y a. Dans le Peintre de la vie moderne, le « roi des poètes », tel que le surnomme Rimbaud, a eu beau jeu de faire remarquer à ses contemporains, que « le plaisir que nous retirons de la représentation du présent tient non seulement à la beauté dont il peut être revêtu, mais aussi à sa qualité de présent. » Il faut en déduire que pour Baudelaire, la représentation du présent évoque une absence pleine d’une présence vide, comme s’efforcera de le démontrer, plus tard, l’auteur de « Du mouvement et de l’immobilité de Douve ». La modernité aura donc désormais pour objet de représenter le présent, de le saisir dans sa présence actuelle, de le transfigurer en beau moderne et, en même temps, de dénoncer sa vulgarité, sa laideur, son manque d’héroïsme et de beauté, son non-être. Représentation du présent, le beau moderne montre un réel présent qu’il nie tout à la fois. Plus que cela, le beau moderne, en représentant le monde présent, le donne en spectacle et montre son déficit originel : il glorifie la beauté véridique de son apparence et dénonce le vide fantomatique de son existence. Telle est la manière baudelairienne de dialectiser le modernisme enflé et ampoulé du second Empire, tout adonné à la pathétique exaltation de son propre présent.

         Par conséquent, la modernité baudelairienne naît du refus de l’histoire et s’érige en négation tant du beau historique que du mythe du progrès. Elle forme une tentative d’éterniser le présent, de le soustraire au Temps qui ne lui accorde qu’une existence précaire, rappel du passé ou anticipation du futur. A dire vrai, la formule apparemment tautologique de « la représentation du présent » exprime le désir baudelairien de maintenir le présent dans une durée temporelle, de loger le maintenant dans une enclave du temps historique. En un mot, représenter le présent, c’est se soumettre au temps qui passe car «  presque toute notre originalité vient de l’estampille que le temps imprime à nos sensations ». Or, épouser le temps, n’est-ce pas là le meilleur moyen d’y échapper ? Y répondre ad rem, ce serait contrefaire toute la logique de la modernité. Par ailleurs, dans Le Peintre de la vie moderne, Baudelaire écrit que « la modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. ». Donc, d’une part, selon Baudelaire, le travail de l’artiste consisterait à unir la modernité avec la beauté éternelle pour créer une œuvre durable, belle tant par son rattachement à l’idéal éternel que par sa conformité au goût de l’époque. Mais, d’autre part, Baudelaire affirme que la modernité consiste à « dégager de la mode ce qu’elle peut contenir de poétique dans l’historique, de tirer l’éternel du transitoire. » Il ne s’agirait donc pas de créer le beau en associant un élément éternel à un élément transitoire, mais d’extraire la beauté éternelle de la beauté relative.  

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