Dans ses lettres, Rimbaud manifeste un désir de renouvellement total : il veut y faire éclater la littérature et la société anciennes, il veut bondir dans l’inconnu, l’inouï. En un mot, il s’entraîne à la voyance.



Résultat de recherche d'images pour "Le poète voyant"            Dans sa lettre adressée à Izambard, Rimbaud écrit « Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant ». L’idée de l’effort est ici soulignée doublement par le verbe « travailler » et par le verbe « se rendre ». Dans sa lettre à Demeny, Rimbaud se reprend : « Je dis qu’il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. »  La Voyance conçue en ce sens n’est pas l’effet d’un don surnaturel, mais le fruit du dérèglement de tous les sens ». 
         En d’autres termes, Chez Rimbaud, le poète se fait voyant en accédant, par un dérèglement de tous les sens, à un monde hallucinant où vit l’âme universelle : dans un langage universel résumant tout, parfums, sons, couleurs, il devrait alors communiquer aux hommes l’inconnu qui s’éveille en leur temps et, grâce à lui, changer le monde.      
           En fait, Rimbaud ne joue pas sur l’hermétisme comme le fait Mallarmé, parce que sa méthode poétique s’établit de manière concrète par le « le dérèglement de tous les sens ». Seul moyen de rendre l’inconnu moins lointain, mois hétérogène et moins impénétrable, en un mot, de le transformer en un prochain, même un interlocuteur.  Ainsi un dialogue peut-il s’instituer entre ces « deux ipséités semblables mais différentes » entre « Je » et « autre », selon l’expression de Vladimir Jankélévitch.
           Tout l’effort du poète consiste en ce qu’il doit se faire « fou pour découvrir dans les choses une raison nouvelle, qui soit aussi la sienne et pour se retrouver dans ce qu’il nomme lui-même « l’inouï ». Aveugle volontaire, toujours à la poursuite de son vrai regard, de son vrai génie, le poète est un Je qui tente de se faire autre en se voyant et en s’appelant lui-même par les yeux de l’univers tout entier. »
               D’ailleurs, il n’y a pas chez Rimbaud, comme chez un Ponge par exemple, amour de la chose pour elle-même, goût de l’inertie objective, son choix n’est pas celui de l’inanimé ; bien au contraire, quand il imagine la matière, il la pénètre toujours de rêveries puissamment animistes ; le minéral lui est un végétal, la fleur une pierre fondue.
             D’où découle justement un lyrisme agressif et explosif. C’est lui qui donne à l’œuvre sa trépidation, son mouvement précipité : mouvement d’ascension et de chute, mouvement de giration et de vertige – « La musique, virement des gouffres et chocs des glaçons aux astres »- et surtout de bondissement : « des prés de flammes bondissent.
                Dans ce même sens, l’étude du lapidaire rimbaldien montre bien que sa géologie recouvre en fait une botanique, que la pierre représente pour lui un fruit, un vivant produit de la terre : comme dans la fleur, il choisissait surtout de voir la floraison, il imagine dans la pierre les obscures opérations d’une genèse. 
                 C’est toujours une certaine harmonie, encore inexistante, que Rimbaud vise à rejoindre et à faire exister. S’il aspire à créer du neuf, il veut trouver dans cette nouveauté les indices d’un certain accord matériel. IL peut accepter momentanément le désordre : « Si ce que le poète apporte de là-bas a forme, il donne forme, si c’est informe, il donne l’informe. » Pour dépasser l’informe, il suffira donc de trouver une langue, d’inventer un langage universel. 
           Par conséquent, si une harmonie doit naître dans ce monde, elle ne peut dès lors provenir que des objets eux-mêmes et non d’un quelque état d’âme qui leur imposerait du dehors son unité. Car Rimbaud se veut voyant et non voyeur. Nul quant-à-soi ne vient tenir chez lui la fraîcheur d’un monde recrée, le jaillissement et le dynamisme des choses. »
             Bien au contraire, il se met à côté des choses, il se projette en elles, il tâche d’en épouser du dedans la liberté. Telle est la poésie objective, telle que l’entend et la pratique Rimbaud : poésie à la troisième personne, dont le mot d’ordre est justement « JE est un autre », poésie d’un Je devenu Il, d’une conscience qui se met pleinement du côté de l’objet ».
                Autant que de chercher à saisir une réalité en soi dans ses rapports nécessaires et essentiels, Rimbaud se veut mage, voyant, il veut créer une réalité par ses propres forces. C’est un apprenti mage à qui il ne manque plus que le secret de la magie véritable.
           Par cette contre-façon de l’inconscient, comme il arrive dans les rêves, les perceptions se transforment : au monde apparent se substitue un monde neuf, étrange, hallucinatoire, et dont les métamorphoses sont à la dévotion du poète : « Je croyais à tous les enchantements. J’inventai la couleur des voyelles.. » Ce monde chaotique qu’il crée, ne serait--il pas plus réel que l’autre ? 
             Pour Rimbaud, le poète doit plonger là-bas dans les profondeurs de l’inconscient, pour en rapporter ce qu’il peut : « parfums, sons, couleurs de la pensée ». Le poète doit découvrir l’informe. Sa fonction est donc, comme le voulait Baudelaire, de « trouver du nouveau », d’être en avant pour voir, entendre et révéler au monde ce qu’il n’a pas encore su découvrir. 
                  Le vrai poète n’est pas celui qui s’amuse à juxtaposer des rimes et des hémistiches ; il n’est pas non plus celui qui traduit en vers ses propres idées, mais il n’est pas davantage celui qui reste passif devant les révélations de l’inconscient. Le poète est un travailleur, un travailleur de soi-même, car il doit se travailler, se découvrir soi-même : « la première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance entière. Il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente, il l’apprend ». En somme, être voyant, pour Rimbaud, c’est découvrir l’inconnu caché au fond de nous-mêmes, atteindre ce qui échappe au commun des hommes. 
              Le poète est le véritable, le suprême savant : « car il arrive à l’inconnu ! », Car, il découvre véritablement un monde, le monde, la réalité, sa fonction étant d’inspecter  l’invisible et d’entendre l’inouï », à la recherche de cet inconnu que poursuivait Baudelaire, « le premier voyant, roi des poètes, le vrai dieu ».
             Voyons donc en Rimbaud un Baudelaire qui se serait délivré de son gouffre, guéri de son vertige, et guéri en même temps du Beau, un Baudelaire converti à la réalité profonde du monde.
                En un mot, Rimbaud se veut démiurge, recréateur du monde, entreprise plus proche de la magie que de la mystique. Nouveau Prométhée, il nourrit une ambition démesurée : dérober à nouveau le feu du ciel, refaire la création toute entière. Du secret des dieux, il croit avoir retrouvé la clef, et bientôt il va s’élancer pour vivre la prodigieuse aventure.  

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