La méthode psychanalytique est particulièrement précieuse, dans la mesure où elle nous permet de mieux entendre les voix intérieures du poète et de mieux saisir la mythologie personnelle Rimbaldienne. En fait, la mythologie, au sens trop large du terme, se situe chez Rimbaud moins au niveau textuel ou référentiel qu’au niveau de la perception et de la pensée. C’est dire que le mythe personnel rimbaldien est porteur d’une symbolique difficile à déceler mais qui a son assise dans la zone du subconscient. D’où l’importance cruciale de l’approche psychanalytique dans la compréhension de sa poésie.
Résultat de recherche d'images pour "Arthur Rimbaud*"               Les mythes les plus récurrents chez Rimbaud sont d’ordre ou cosmogonique, ou apocalyptique.  Pour ce qui est des mythes cosmogoniques avec substrat préexistant, l’on voit émerger plus ou moins amplement au niveau des deux recueils de références peu ou prou latentes aux éléments du chaos primordial, surtout l’eau et le feu. Ces deux mythes représentent selon, Bachelard, la symbolique du drame humain condensé.  
                     En fait, Rimbaud semble être né sous le signe du feu. Le feu qui embrase, mais aussi le feu qui dévore et qui consume. Pourquoi le feu justement ? Eh bien, parce que, comme le disait Bachelard, dans sa Psychanalyse du feu : « Tout ce qui change vite s’explique par le feu. Le feu est l’ultra-vivant. Le feu est intime et il est universel. Il vit dans notre cœur. IL vit dans le ciel. IL monte des profondeurs de la substance et s’offre comme un amour. Il redescend dans la matière et se cache, latent, contenu comme la haine et la vengeance […] Parmi tous les phénomènes, il est vraiment le seul qui puisse recevoir nettement les deux valorisations contraires : le Bien et le Mal. Il brille au paradis. Il brûle à l’enfer. Il est douceur et torture. Il est cuisine et apocalypse. »
             Toujours dans cette chasse spirituelle, il brûle les étapes –doctrines, systèmes et univers-, il se brûle lui-même et, avant d’avoir vingt ans, consumé par le feu de l’enfer, « roussi », et n’ayant découvert, en fait d’absolu, que sa propre projection démesurée, il se retrouve les mains vides, « rendu au sol, avec la réalité rugueuse à étreindre ». N’est-ce pas là, dans un raccourci saisissant le drame même de l’âme moderne ? 
           Car, pour Rimbaud, il s’agit avant tout de faire table rase, d’immoler tout, de tout salir : d’où un parti-pris de « crapule », un appétit de malheur, de boue et de crime, une sorte de sadisme enfin.  
             Par ailleurs, tout comme le feu, l’eau est l’image du devenir, image que Rimbaud se plaît à conférer à ses poèmes :« L’eau est un type de destin, non pas seulement le vain destin des images fuyantes, le vain destin d’un rêve qui ne s’achève pas mais un destin essentiel qui métamorphose sans cesse l’essence de l’être ».
              Ainsi, l’univers des illuminations est ainsi dominé par la hantise d’une apocalypse inondante, et l’imagination rimbaldienne obsédée par une mythologie du Déluge.
          Dans les Illuminations, C’est l’eau, non le feu, qui est en bas, et c’est d’en bas qu’elle part pour laver les souillures des choses et les vomissures des hommes, pour occuper l’azur qui est du noir. La véritable rédemption n’est pas chez Rimbaud une descente, elle ne se prépare pas par des génuflexions ou des humiliations ; elle épouse au contraire le mouvement d’un surgissement cosmique. 
            Il faut voir dans les illuminations le dessin d’un drame plus cruel encore : le conflit entre l’ange que Rimbaud aurait pu être et ce qu’il est réellement, l’horrible  travailleur rivé à sa tâche, le grand criminel, le grand malade, le grand maudit. C’est le drame du moderne de ne plus savoir reconnaître dans l’avenir les moyens de retrouver un paradis perdu. Terrible péché d’orgueil, où l’on se veut Dieu, où l’on nie Dieu pour se substituer à lui. 
         Catastrophe cosmique, vision d’apocalypse en effet. Cette réalité « barbare », n’est plus que pluie de sang, un immense brasier. L’univers chavire dans « le virement des gouffres et choc des glaçons aux astres ». Les catégories de l’espace disparaissent, les éléments se confondent. Vertige. 
            Alors que le mythe de la naissance pénètre et dynamise tout l’univers des illuminations, il n’est point, on le voit, de nativité possible dans l’enfer de Rimbaud. Et tout le malheur du damné tient à cette stérilité, à cette solitude, à cette séparation d’avec les choses qui le vouent à un soliloque tragique et sans issue. 
              Dans la Saison aussi, le feu « se révèle avec son damné » : mais c’est alors un surgissement démoniaque. Car tout comme l’eau baigne les illuminations de sa puissance fécondante, le feu étend sur la Saison  un désert d’aridité et de souffrance. Feu négatif, destructeur, rêvé dans ses effets plutôt que dans son origine, pouvoir véritablement infernal qui finit par épuiser toute matière et par provoquer parallèlement dans l’esprit un vide, une absence, « un sommeil bien ivre sur la grève ».
            Le rythme de la Saison en enfer est celui d’un trépignement immobile, d’une frénésie ressassante et toujours en lutte contre elle-même. Rimbaud y a la démarche d’un animal harcelé : « Au dernier moment, j’attaquerai à droite et à gauche. » Si règnent ici contestation et déchirure, c’est que la recherche de soi s’y est à l’excès intériorisée, moralisée.
          Une Saison en enfer réussit alors à être le tragique poème de l’absence : absence des autres, absence des choses, absence de soi. La vraie vie y est pathétiquement absente alors qu’elle est ou plutôt qu’elle devient si merveilleusement présente dans chacune des illuminations. C’est que le feu est passé par là, qu’il a tout consumé. L’enfer rimbaldien, ce n’est peut-être qu’un vide sensible, une terre brûlée. 
           A partir d’un feu central dont l’imagination rejoint étrangement celle d’une sorte de sacrifice, de supplice volcanique de la terre, à partir du « cœur terrestre éternellement carbonisé pour nous », jaillissent dans Barbare des brasiers de diamants.
       Dans Solde, Rimbaud chante « les richesses jaillissant à chaque démarche. Solde de diamants sans contrôle ! » Mais plus souvent encore que la terre enflammée, c’est la terre liquide qui semble porter en elle et enfanter les pierres. On voit les pierres précieuses apparaître à la surface du sol le lendemain d’une pluie ou d’un déluge, dans une boue encore humide, ou bien elles pointent hors de la terre pour le premier dégel du printemps, dans la mollesse d’un sol fondu. 
           En gros, Rimbaud cherche à retrouver la quintessence de l’univers. Pour cela, Rimbaud pourra utiliser diverses formes liantes : celles que lui proposent le ruissellement des liquides ou la vaporisation des herbes. Une certaine perméabilité cosmique corrige en effet la discontinuité barbare : l’arc-en-ciel symbolise cette réunion spongieuse de l’univers.
            D’ailleurs, il donne une merveilleuse définition de la vie changée et réunie à elle-même, « de cette vie éternelle, non écrite, non chanté, - quelque chose comme la Providence « les lois du monde un » que Rimbaud évoque dans L’Alchimie : L’éternité/ c’est la mer mêlée/ Au soleil. L’union des deux principes, eau et feu, ne se sépare pas du mouvement qui les attire l’un avec l’autre vers un autre espace et vers un autre temps, vers une nouvelle substance, une eau de feu. » 

       Quand Rimbaud évoque dans Barbare la « soie des  mers arctiques », il imagine de même une tendresse épidermique de l’eau, une surface doucement vivante et chargée de faire éclore en elle toute l’ombre immobile de grands fonds ; il rêve à une mer-gazon.

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