Image associée              Avant d’entreprendre de définir le pacte autobiographique, il ne serait nullement de l’ordre de la redondance que de vouloir revisiter les éléments définitoires de l’autobiographie en tant que genre scriptural se dessinant à mi-chemin entre l’écriture littéraire et l’écriture a-littéraire. Aussi, sommes-nous dans l’obligation d’invoquer la définition fournie par Philippe Lejeune, pour ce qu’elle a d’œcuménique et de distinctif en elle-même, raison qui la rend toujours valable et en droit de cité aux yeux de la critique littéraire :                                                                                      « L’autobiographie est un récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité ».
           Toutefois, il est à mentionner que cette définition, d’emblée simple, jette dans l’embarras quiconque se hasarde à l’appliquer à toute œuvre à caractère autobiographique. Si l’on en croit Lejeune, est autobiographique tout récit auto-diégétique dont le sujet d’énonciation est absolument identique au sujet de l’énoncé narratif, sans pourtant qu’il y ait nécessairement identité de la personne grammaticale avec la personne qui prend en charge l’énonciation. Autrement dit, il ne suffit pas que le récit soit narré à la première personne pour que l’on en déduise qu’il s’agit d’une autobiographie, ni encore qu’il soit écrit à la troisième personne pour que l’on dénigre la possibilité qu’il y soit question d’une autobiographie.   
             A ceci, il faudrait rajouter que l’autobiographie revêt souvent la forme d’un récit prosaïque qui traite de la vie personnelle de son auteur en adoptant souvent une démarche non seulement rétrospective, mais aussi et surtout introspective, dans le sens où cette entreprise acquiert la fonction d’une perlaboration ou d’une autoanalyse, selon les mots de Freud. Cette définition nous conduit inéluctablement à exclure de ce qu’on appelle l’autobiographie, les textes poétiques à caractère autobiographique (Comme c’est le cas de Le Chien et le Chêne de Raymond Queneau).
              Dans ce même ordre d’idées, il ne faut pas amalgamer Mémoires et autobiographie, car dans le premier genre, le mémorialiste évoque davantage l'Histoire d'une époque que celle d'un individu, alors que dans le second, l’auteur-personnage constitue le point névralgique de la narration diégétique.  
            Par exemple, les Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand se présentent comme le récit d’un ensemble d’événements historiques, auxquels l’auteur, en tant que personne réelle et subjective, a assisté, d’une manière ou d’une autre, mais sans qu’il en soit le point nodal.  
               Nonobstant, si l’on se fie davantage à la définition de Philippe Lejeune, est autobiographique tout texte formé principalement sous forme d’un récit, mais, si on tient compte de toute la place qu'occupe le discours dans la narration autobiographique : la perspective, principalement rétrospective n'exclut pas des sections d’autoportrait, un journal de l’œuvre ou du présent contemporain de la rédaction et des constructions temporelles très complexes, le sujet doit être principalement la vie individuelle, la genèse de la personnalité, mais la chronique et l’histoire sociale ou politique peuvent y avoir une certaine place. C’est là une question de proportion ou plutôt d’hiérarchie : des transitions s’établissent naturellement avec les autres genres de la littérature intime (mémoires, journal intime,..).
             Par ailleurs, l’identité entre l’auteur, le narrateur et le personnage principal, patente ou latente soit-elle, instaure une distinction tranchante entre autobiographie et roman autobiographique, où l’auteur et le personnage-narrateur sont deux entités distinctes, dans la mesure où l’auteur se présente comme un simple intermédiaire assumant la publication de l’ouvrage.                
           Force nous est de mentionner que cette définition a pour corollaire la notion de pacte autobiographique. En effet, l'auteur noue un pacte avec son lecteur en lui déclarant explicitement son identité et en s'engageant à dire la vérité ou ce qu’il croit être la vérité.
               Dans cette perspective, Philipe Lejeune définit ainsi le pacte autobiographie : « Le pacte autobiographique, c’est l’affirmation de cette identité du nom de l’auteur-narrateur-personnage principal. »
                 Par voie de conséquence, la distinction de l’autobiographie du roman autobiographique passe d’abord par ce que Lejeune appelle le pacte autobiographique qui est, selon le dire du même théoricien, « L’engagement que prend un auteur de raconter directement sa vie (ou une partie ou un aspect de sa vie) dans un esprit de vérité. »
                La notion de « pacte autobiographique » a été popularisée par Philippe Lejeune. L'expression désigne l'enjeu de toute écriture de soi : la fusion, dans cette entreprise rétrospective, de l'auteur et du narrateur engagerait celui qui s'y livre à la plus objective sincérité, par-delà toutes les contraintes existentielles auxquelles peuvent s’achopper ceux qui s’y adonnent, contraintes que l’on peut reformuler avec les termes suivants : Comment raconter l'être que je fus sans le faire avec le regard de l'être que je suis ? Comment atteindre une sincérité absolue quand, en moi, s'obstine à agir l'autre qui lira et qui, d'une manière ou d'une autre, constitue mon écriture, pénitente ou provocante ?
                De ce fait, le pacte autobiographique s’oppose diamétralement au pacte de fiction, ou ce qu’on appelle le pacte romanesque. Si le pacte autobiographique engage l’autobiographe à dire la vérité ou, du moins ce qu’il croit être la vérité, le pacte romanesque se veut un désengagement du romancier de toute responsabilité vis-à-vis de la véracité des faits qu’il entreprend de raconter.
              En somme, dans son livre « Le pacte autobiographique» (1975, Seuil) Philippe Lejeune s’est attelé à définir le pacte qui se forme entre l’auteur et le lecteur dans le cadre de l’autobiographie: le lecteur s’attend à ce que auteur et narrateur se fondent en une seule entité, entité qui livre la réalité d’une vie ou ce qu’il croit en être la réalité.
              Le pacte de fiction au contraire suppose que le lecteur sache parfaitement qu’auteur et narrateur sont deux entités différentes et que les faits relatés sont imaginaires, même s’ils s’inspirent de la réalité.
            D'un point de vue narratologique, rien ne permet de faire la différence entre un récit de fiction à la première personne et un récit autobiographique, dans la mesure où le premier est une simulation délibérée et artificielle du second (Cohn,53). Leur différence ne tient qu'au statut de celui qui dit JE. Dans une autobiographie, JE est un locuteur réel. Il est reconnu comme tel grâce à un pacte autobiographique (Lejeune) qui assure, sur la couverture ou au début du texte, l'identité de l'auteur, du narrateur et du personnage. Cette identité est celle du nom propre.
                   Dans la fiction, le pacte autobiographique (simulé) se double d'un pacte fictionnel qui consiste précisément à changer de nom. Quand on lit sur la page de titre: Thomas Mann, Les Confessions du chevalier d'industrie Felix Krull, on sait qu'il s'agit bien d'un roman. Le titre de Mann [...] présente [...] l'indice essentiel de la fiction en régime de première personne: la création d'un locuteur imaginaire. Tant que ce locuteur est nommé, dans l'appareil titulaire ou dans le texte, et tant qu'il porte un nom différent de celui de l'auteur, le lecteur sait qu'il n'est pas supposé prendre ce discours pour un énoncé de réalité.
I-                  Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau

              Bien avant les Confessions de J.-J. Rousseau, Saint-Augustin s’est livré dans Ses Confessions à l’écriture de soi, pour tenter de confesser ses fautes, et d’exalter la grandeur de Dieu et la misère de l’Homme. Il raconte sa jeunesse débauchée, et sa conversion au christianisme. Il s’interroge sur l’origine du mal, livre ses réflexions sur la nature du temps, ou encore s’émerveille devant la puissance de la mémoire. Toutefois, contrairement à Rousseau, Saint-Augustin s’évertue à faire le bilan de sa vie personnelle en l’agrémentant de commentaires critiques, mais sans qu’il en soit totalement conscient, c’est-à-dire sans qu’il dénomme explicitement l’entreprise à laquelle il s’adonne.  
               Tandis que Rousseau confie, dès le préambule des Confessions, le besoin qu’il ressent de se confesser, de se raconter, de se dire, dans l’espoir d’obtenir une quelque compensation de la part, non de la génération qu’il a côtoyée, mais plutôt des générations postérieures. Peu importe ! Il est à signaler, néanmoins, que Rousseau a eu le mérite d’avoir inauguré, subrepticement, une tradition que Ph. Lejeune qualifiera par la suite de pacte autobiographique, et qui sera contestée par les avant-gardistes de la dernière tierce du XXème siècle. En ce sens, L’autobiographie de Rousseau est à considérer comme l’une des premières œuvres du genre, et, en cela, elle incarne un repère et un point de référence et de ressourcement aussi bien des théoriciens du genre que des écrivains de la même veine.
                Dans Les Confessions, Rousseau se livre, dès le départ, à décrire l’état d’esprit dans lequel il s’est mis à la tâche en affirmant n’avoir en aucun cas falsifié ou altéré l’authenticité des événements qu’il relate, ni avoir opéré la moindre modification ou la moindre ellipse sans en avertir le lecteur ; et dans l’hypothèse où certains passages ne correspondraient pas à la réalité, il ne met en cause que l’oubli de l’instant et la déficience d’une mémoire incapable de se remémorer entièrement cinquante-trois années d’une vie bien remplie. Ainsi, il désire créer une complicité et une confiance entière par rapport au lectorat, jurant qu’il n’écrit ces mémoires que pour pouvoir mieux se soumettre au jugement de ceux-ci, en toute honnêteté, en toute franchise.
                « Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple, et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi. »   Livre Premier.
                   Il ne désire donc pas, à première vue, ni enjoliver ce qu’il a été, ni se rendre plus attractif ou meilleur. Il attache une grande importance à ce que ses émotions, ses actes, soient relatés le plus fidèlement possible, afin que, quoi qu’on dise de lui, contemporains comme lecteurs, une source fiable de ce qu’il a été, de la manière dont il a agi et s’est conduit durant son parcours, demeure intacte :
             « Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra, je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon ; et s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire. J'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus : méprisable et vil quand je l'ai été ; bon, généreux, sublime, quand je l'ai été : j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même. »
            On peut voir dans cette volonté de proclamer la singularité de l'individu un certain aspect romantique: l'affirmation du moi; un auteur qui se sent isolé de ses semblables, et qui se sent aussi messager. Son entreprise est anticlassique: au XVIIe siècle, les grands écrivains pensaient, comme Blaise Pascal (1623-1662) que «le moi est haïssable», (Pensées, 455) Rousseau est donc un précurseur qui s'engage dans une voie nouvelle: la narration des aventures personnelles, l'analyse des états d'âme individuels qui continueront durant toute la période romantique.
              D'un autre côté, son attitude peut sembler un peu paradoxale, puisqu'il affirme sa singularité, il précise qu'il est différent des autres, mais veut tout de même être comparé à eux: «qu'un seul te dise, s'il l'ose: «je fus meilleur que cet homme-là».
            Rousseau présente son ouvrage comme unique. Sans précédent et sans postérité: affirmations catégoriques... et discutables :
            «Une entreprise qui n'eut jamais d'exemple» : Saint Augustin auquel il emprunte son titre, Montaigne (1533-1592) ont, avant Rousseau, utilisé le genre autobiographique.
               «Dont l'exécution n'aura point d'imitateur» : les autobiographies, carnets, seront très nombreuses au XIXe et XXe siècles, on ne comptera plus les confessions de... ou les prix Goncourt où l'autobiographie est à peine déguisée.
        Le MOI sera au centre de cette œuvre. L'obsession de la transparence s'exprime  par la volonté de tout dire: contrastes, antithèses: (les deux facettes du personnage seront révélées).
           «J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, je n'ai rien ajouté de bon ; et même s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire. J'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus ; méprisable et vil quand je l'ai été, bon, généreux, sublime, quand je l'ai été»

             Ce texte qui annonce le projet autobiographique révèle certains aspects de la personnalité de son auteur, c'est un document capital sur l'orgueil et la recherche de la sincérité de Rousseau. 

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