Tenter
de définir ce qu’est un genre littéraire s’avère une tâche dont il ne serait
nullement défendu de dire qu’elle relève de l’ordre de l’absurde. Le genre est indéfinissable. L’histoire littéraire est là pour le
démontrer : De Platon à Goethe, de Goethe à Barthes, de Barthes à
Hamburger, les définitions qui nous sont fournies sont pour la plupart attributives,
pour reprendre une idée chère à Spinoza. Autrement dit, le genre résiste à
toute définition pour cela qu’il ne cesse de se transmoduler et d’absorber des
structures nouvelles, quelles qu’en soient l’ampleur et la forme. Le genre est
une substance fluide qui ne se laisse pas saisir aisément. Le genre obéit, s’il
nous est permis ici de recourir à une terminologie husserlienne, à la fois à
une structure noético-noématique aussi bien qu’à une corrélation morphè-hylétique
dans la mesure où il s’offre à nous tantôt comme une composante intentionnelle
et non-réelle, tantôt comme une composante réelle et non-intentionnelle.
Par ailleurs, sur la première de couverture
de l’ouvrage de Jean-Marie Schaeffer, le titre formulé sur une modalité
interrogative Qu’est ce qu’un genre littéraire ?crée un horizon
d’attente qui laisse croire que l’auteur entreprendrait une opération
définitoire de ce qu’est un genre littéraire. Il n’en est pas ainsi. Loin de
s’ingénier à fournir au lecteur une définition œcuménique du genre en tant que
tel, Schaeffer s’assigne la tâche d’analyser à la lumière des travaux de ses
prédécesseurs les étiquettes génériques pour nous montrer enfin que la logique
générique ne va pas dans le sens d’une paradigmatisation des textes sous des
rubriques dont les textes fondateurs seraient des prototypes, mais plutôt dans
le sens d’une pluralité générique qui est irréductible. Telle semble la réponse
qu’il apporte à la question qui l’a apostrophé dès le début :
Est-ce que les diverses
classes sont mutuellement exclusives, c’est-à-dire que l’appartenance d’un texte à un genre
donné implique du même coup son exclusion des autres genres[1]
Schaeffer, conscient de
l’arduosité qui saute aux pieds chaque fois que l’on s’escrime à aborder la
question des genres, ne s’arrête pas au stade de la simple classification qui
ne tient compte que d’une caractéristique susceptible d’affilier un texte à un
tel ou tel genre, mais en va jusqu’à prôner que classer des textes peut vouloir
dire des choses différentes suivant que le critère mis en relief est
l’exemplification d’une propriété, l’application d’une règle, l’existence d’une
relation généalogique ou analogique.
1-
L’exemplification
d’une propriété : l’exemple du roman de Laclos Les Liaisons dangereuses
ainsi que celui de Montesquieu Les lettres persanes sont très
révélateurs dans ce sens : il s’agit de deux romans épistolaires qui
consistent à rendre compte de la correspondance entre deux personnages ou
plus : Valmont, Merteuil dans le premier roman ; Uzbek et le mollah
dans le second.
2-
L’application
d’une règle : dans ce cas, on pense certainement aux genres qui ont été
codifiés par Aristote dans sa poétique, à savoir la tragédie et l’épopée. La
tragédie définie par Aristote comme « L’imitation
d’une action grave et complète ayant une certaine étendue, présentée dans un
langage rendu agréable et de telle sorte que chacune des parties qui le
composent subsiste, séparément, se développant avec des personnages qui
agissent, et non au moyen d’une narration, et opérant par la pitié et la
terreur la purgation des passions de la même nature », peut servir d’étiquette générique à toutes les pièces de théâtre
qui valident cette définition. Il convient indispensablement de nous arrêter
sur cette acception qui foisonne de traits définitoires de la tragédie. Tout
d’abord, la tragédie appartient, suivant la terminologie aristotélicienne, au
paradigme des arts se basant sur la mimésis de la nature humaine, par
opposition à la diégésis. La dichotomie mimésis/diégésis se redouble d’une
autre antinomie, laquelle permet de discerner la tragédie de l’épopée. Si
l’œuvre épique s’érige au fur et à mesure par le biais de la narration, l’œuvre
tragique, en revanche, découle d’un ensemble d’actions qui s’enchevêtrent les
unes aux autres afin de déboucher en dernière instance sur une action
principale d’où la règle de l’unité d’action. Il en est ainsi du Prométhée
enchaîné d’Eschyle, Antigone de Sophocle, ou encore Phèdre de Racine.
3-
L’existence
d’une relation généalogique : Les Impromptus de Giraudoux et de Ionesco
s’apparentent au théâtre de l’impromptu dans la mesure où ils s’inscrivent dans
cette tradition inaugurée par Molière, Corneille, Goldoni et Pirandello.
4-
L’existence
d’une relation analogique : C’est-à-dire qu’un texte X est dit tel parce
qu’il ressemble au texte Y qui lui est antérieur et qui se range sous la même
rubrique. Les Mots de Jean-Paul Sartre est une autobiographie, vu qu’il
représente des parentés avec les confessions de Saint-Augustin, les confessions
de Jean-Jacques Rousseau.
Bien entendu, un texte peut être perçu comme appartenant à un tel ou tel
genre suivant le trait sur lequel nous nous appuyons pour l’appréhender. En
guise d’exemple, Don Quichotte peut être considéré comme étant un récit ou une
parodie du roman de chevalerie selon que l’on s’intéresse aux modalités de
l’énonciation ou à sa dimension syntaxique ou sémantique. En somme, pour
Schaeffer, l’identité générique est foncièrement instable, répondant à des
logiques multiples qui sont irréductibles les unes aux autres.
Par ailleurs, Schaeffer distingue
le genre de la généricité. A son sens, genre et généricité ont deux statuts
théoriques tout-à-fait différents. Le genre est une pure catégorie de lecture,
une catégorie de classification rétrospective, il structure un certain type de
lecture. Alors que la généricité est une fonction textuelle, un facteur
productif de la constitution de la textualité.
En d’autres termes, le
genre appartient au champ des catégories de lecture, il structure un certain
type de lecture, tandis que la généricité est un facteur productif de la
construction de la textualité. D’une part, le genre est une catégorie de la
lecture, qui contient une composante prescriptive, le genre est donc bien une
norme mais une norme de lecture. D’autre part, dans la plupart des cas, la
généricité ne résulte pas de l’application d’un algorithme métatextuel mais
d’une reprise plus ou moins transform atrice
de l’ossature de l’un ou plusieurs hypotextes. En tant que modèle de lecture,
la transtextualité permet une prise en
compte de la dimension institutionnelle de la littérature en tant qu’ensemble
de réseaux textuels.
Il en sort que pour Schaeffer,
la généricité a deux facettes, l’une est auctoriale, l’autre lectoriale. Le
régime auctorial est, comme le dit Schaeffer, homochrome, parce qu’il
correspond à une étiquette générique que l’auteur donne à son œuvre dans
l’index ou le paratexte qui précède le texte, tandis que le régime lectorial
est dit hétérochrome dans le sens où il est appréhendé différemment par les
lecteurs. L’index de l’auteur peut être parfois un leurre. La généricité d’un
texte peut être comparée à une maison, pour reprendre une métaphore de
Merleau-Ponty utilisée dans un tout autre contexte. Cette maison, je la verrais
sous un certain angle, on la verrait autrement de la rive droite de la Seine,
autrement de l’intérieur, autrement encore d’un avion. La maison elle-même
n’est aucune de ces apparitions, elle est comme le disait Leibniz, le géométral
de ces perspectives.
Il en est ainsi d’un texte,
il est vu différemment sous des angles différents, l’auteur lui-même qui y est
dedans est parfois congédié de sa propre maison lorsqu’il est en train de
relire son texte. La généricité d’un texte serait le géomètre de toutes les
classifications génériques dont l’œuvre a été sujette. La généricité d’un texte
résulte plutôt de la dynamique qui s’établit entre les « traits de genre »
indiqués par l’auteur, ainsi que les fonctions qui leur sont attribuées - et le
processus de « reconnaissance » de ces traits, auquel se livre le lecteur.
Ajoutons un point sur lequel
J-M Schaeffer a insisté et que l’on peut considérer comme un atout : eh
bien il s’agit des facteurs de remodelage de la généricité, à savoir la
traduction. Il va de soi que tout texte est contextuel et qu’il est perméable à
toute réactivation. La traduction peut avoir une incidence sur la nature d’un
genre et sur sa perception par un lecteur. On comprend ainsi comment
l’esthétique de la réception influe sur la question des genres : celle-ci
est liée à des problèmes de décontextualisation et de recontextualisation et la
traduction-adaptation devient un facteur de dérive générique aboutissant à un
remodelage important de la généricité du texte-source :
« Tout passage d’une langue à une autre implique évidemment
une recontextualisation. On peut admettre comme règle générale que lorsque la
langue de départ et la langue d’arrivée font partie de deux sphères culturelles
hétérogènes, certains des traits génériques du texte source risquent de perdre
leur fonction dans le texte d’arrivée ou encore d’être liés à des
identification génériques non pertinentes pour le texte source »
La notion de recontextualisation apparaît donc comme importante pour
une approche comparatiste. La traduction et la réception en France des Mille et
une Nuits de Galland transforment au début du XVIIIème siècle des textes en
contes orientaux, ce qu’ils n’étaient évidemment pas dans leur culture
d’origine.
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