« La Vie sans Fards » de Maryse
Condé se présente, aux yeux du lecteur averti, d’abord et avant tout,
comme l’orchestration d’une véritable symphonie littéraire, par ceci même que
la culture livresque polychrome de l’écrivaine guadeloupéenne, jalonne à fusion «le plus universel »
de ses livres, tel qu’elle s’insolente à le qualifier au nez de ceux qui
trouvaient encore à ce « gros » mot « universel »[1] un
air idéaliste et mal à propos. Si universalité il y a, ce n’est que le fruit du
renvoi intertextuel à plusieurs littératures et, en l’occurrence, à diverses
cultures. A juste titre, Martine-Abdallah Pretceille a eu beau jeu de
mentionner que « le texte
littéraire, production
de l’imaginaire, représente un genre inépuisable pour l’exercice artificiel de
la rencontre avec l’Autre. ».
Certes, les
genres de l’écriture intime, de l’autobiographie au journal intime, peuvent paraître
d’emblée les moins disposés à ponter des passerelles entre le « Moi »
et « l’Autre », mais, comme l’écrivait l’auteur de Notes et Contre-Notes,
« il faut écrire pour soi, c’est ainsi
que l’on peut arriver aux autres ». Cette
devise d’un homme de théâtre, Maryse Condé, sans qu’elle en soit vraiment
consciente, semble se l’approprier à toutes mains, son intention étant de se
tenir devant son lecteur sans fards, ni déguisements.
D’ailleurs, tout en s’inscrivant dans le sillage d’une entreprise littéraire à
la Sarraute, Maryse Condé a eu raison de consacrer l’incipit de son texte
autobiographique à la remise en scène des risques qu’encourt quiconque se
hasarde à tremper sa plume dans l’encrier de sa mémoire pour transcrire noir
sur blanc le récit de sa propre vie. En ce sens, dès le départ, nous entrons de
plain-pied dans l’univers d’une mise en abyme littéraire où l’autobiographe
s’attèle à passer à la loupe la notion de « pacte autobiographique »,
objectant ainsi aux genres de l’écriture intime de feindre l’apparence de la
véracité sous des dehors illusionnistes, voire fantaisistes, où la
vérité s’atrophie au profit d’une peinture fardée de sa propre existence.
Nonobstant, à
cette tradition rousseauiste dilemmatique par excellence, Maryse Condé ne peut
qu’adhérer pleinement, paraphrasant ainsi à la lettre la fameuse phrase-seuil des
Confessions et s’engageant, par voie de conséquence, à « raconter directement sa vie […] dans un esprit de vérité », pour reprendre
à la lettre la définition du pacte autobiographique fournie par Philippe
Lejeune. En ce sens, il ne serait nullement de l’ordre de la redondance que de
rappeler qu’à l’instar de Rousseau qui, dès le préambule des Confessions, confie
le besoin incontournable qu’il ressent de se confesser, de se raconter et de se
dire, dans l’espoir d’obtenir une quelque compensation de la part, non de la
génération qu’il a côtoyée, mais plutôt des générations postérieures, l’écrivaine
de La Vie sans Fards s’évertue, dès le départ, à exhiber au lecteur les
circonstances dans lesquelles s’était-elle mise à la tâche en déclarant
subrepticement n’avoir en aucun cas voulu falsifier ou altérer l’authenticité
des événements qu’elle entreprend de relater, toute consciente qu’elle est des
périls de l’entreprise autobiographique relativement aussi bien aux
défaillances de la mémoire qu’aux tours du langage.
Il est à
signaler, néanmoins, que Rousseau a eu le mérite d’avoir inauguré une tradition
que Ph. Lejeune qualifiera par la suite de pacte autobiographique,
et qui sera contestée par les avant-gardistes de la dernière tierce du XXème
siècle. En ce sens, L’autobiographie de Rousseau est à considérer comme l’une
des premières œuvres du genre, et, en cela, elle incarne un repère et un point
de référence et de ressourcement aussi bien des théoriciens du genre que des
écrivains de la même veine dans la lignée desquels s’inscrit Maryse Condé. Nul
besoin de vérifier l’identité du nom de l’auteur-narrateur-personnage, gage du
pacte autobiographique, celle-ci étant claire et explicite.
Par ailleurs,
il s’avère impossible de passer inaperçu un fait capital dont on déniche les
séquelles tout au long du texte, d’alpha jusqu’à Omega. En fait, ne serait-ce
qu’à partir de la titraille, se révèle la propension de l’écrivaine à se
chercher dans le fatras des lectures qu’elle a faites de son vivant. Si
l’on en croit Julia Kristeva cette attitude pourrait être définie comme « un
phénomène d’interaction textuelle qui se produit à l’intérieur d’un seul
texte ». A y voir clair, il semblerait que la notion d’intertextualité,
latente ou patente soit-elle, n’est pas tout-à-fait en mesure de pouvoir
détecter ou saisir pleinement l’éclair
ou le flash qui émane, volontairement ou involontairement, de la mémoire
livresque d’un individu au moment où il cherche à s’écrire ou à se dire,
c’est-à-dire au moment où il entreprend de narrer son expérience personnelle ou
bien au moment où il fait parler et agir l’un de ses propres personnages.
Nous appellerons donc interlisibilité
« La force de l’intelligence mémorielle, volontaire ou involontaire, d’un
écrivain à s’écrire à l’ombre ou à la lumière des lectures qui l’ont influencé,
lesquelles lectures ont fini par constituer sa mythologie personnelle. ».
Déjà, dès le début, l’écrivaine n’a pas pu s’empêcher d’occulter sa
« performance » littéraire en tant que lectrice. Si elle a choisi de
mettre en exergue de son livre autobiographique une épigraphe de Jean-Paul
Sartre, c’est pour dire que dans l’existence d’un Homme promu à l’écriture, il
y a deux temps : celui de la vie d’abord, puis vient le temps de
l’écriture, les deux temps se rencontrant dans l’interstice du temps mythique
qui est celui de la lecture. D’ailleurs, à l’instar de l’auteur de « Les
Mots », Maryse Condé s’inscrit dans cette tradition fortement cultivée
au XXème siècle où le projet autobiographique dévie vers le retracement de
l’itinéraire du futur écrivain. C’est ainsi que M. Condé, sans le vouloir
peut-être, s’escrime à montrer comment sa « vocation d’écrivaine »
aurait pris naissance.
[1] « J’emploie
ce mot universel à dessein bien qu’il déplaise fortement à certains », nous confie Condé.
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