·       Etymologie et terminologie :

          Le nom traduction provient du verbe traduire dont l’origine étymologique est le verbe latin traducere qui renvoie à l’action ou à l’idée de faire passer, d’où le sens que l’on confère communément à l’opération de la traduction, qui n’est autre que celui de « faire passer un texte d’une langue à une autre ».
            Par ailleurs, dans d’autres langues, à savoir l’anglais et l’allemand, les verbes respectifs « translate » et « übersetzen » renvoient à la notion de déplacement. Dans la Bible, le verbe dans l’usage courant dénotait l’opération de se porter d’un lieu à un autre. Cependant, contrairement à ce que nous venons d’affirmer, le verbe français traduire semble être beaucoup plus proche de l'italien  tradurre, que du latin traducere, sachant que dans l'ancien français, on employait un terme différent hérité du latin translatum, en français ancien  translater,  et c'est précisément ce mot qui est resté dans la langue anglaise.
            Le mot fera son entrée dans la nomenclature du dictionnaire français dans les années Quarante du XVIème siècle avec le théoricien Etienne Dolet, en conservant son sens premier, avec pour deuxième sens celui qu’on lui octroie aujourd’hui encore dans l’usage commun. Une année plus tard, nous assisterons au baptême de la notion de traduction qui, à l’encontre du verbe duquel elle dérive, sera réservée uniquement à l’acception la plus courante, exprimant ainsi soit l’activité de traduction, soit le résultat obtenu.   

  • La traduction et le Mythe de la tour de Babel
      Le mythe est, par définition, l’histoire sacrée et fabuleuse des commencements. Certes, soulignons-le avec Northrop Frye, « ce que nous propose le mythe n’est pas ce qui s’est produit dans le passé, mais ce que pour justifier le présent, l’on suppose comme s’être produit dans le passé. ». En guise d’exemple, le mythe cosmogonique relate l’histoire de la création de l’Univers à partir du Chaos, le mythe anthropogonique l’histoire de la création de l’Homme. Il en est ainsi de la traduction. Le mythe de la traduction, s’il convient ici de parler d’un mythe, trouve son expression dans un épisode de la Genèse.
Résultat de recherche d'images pour "le mythe de babel et la traduction"                Il se trouve que les habitants d’une ville qui se sont installés dans une vallée au pays de Shinéar en Orient ont eu l’idée d’ériger une Tour pour atteindre le sommet des cieux ou plutôt pour que Yahvé descende sur terre comme l’instituera Camus dans l’Homme Révolté. Or Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et Yahvé dit : « Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises ! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons ! Descendons ! Et là, confondons leur langage pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres ».
            Ce mythe nous apprend l’origine de la diversité linguistique. La Bible nous apprend aussi que les différences linguistiques ne seraient nées que pour semer la confusion et la dissension. La tour n’a d’ailleurs pas été achevée suite à l’incompréhension des « ouvriers » entre eux, à cause du châtiment que leur a infligé Dieu pour avoir voulu s’élever jusqu’aux cieux. C’est ainsi face à cette diversité linguistique que les hommes ont ressenti le besoin de recourir à la traduction.

v Esquisse d’une définition

           Couramment, La traduction désigne aussi bien le processus de faire passer un texte d’une langue à une autre que le résultat obtenu par cette opération, ainsi que le laisse entendre Ladmiral : 
                     « La traduction désigne à la fois la pratique traduisante, l’activité du tracteur (Sens dynamique) et le résultat de cette activité, le texte-cible lui-même (Sens statique) »[1]
           A dire vrai, la question classique de la possibilité d’une telle praxis est devenue, au fil du temps, « une tarte à la crème ». Elle passe aujourd’hui pour une querelle des universaux où certains prennent parti pour la nécessité de traduire et d’autres s’abstiennent à plaider pour l’inenvisageabilité d’une telle opération qui transcende les limites des différences entre les systèmes sémiotiques. Cette problématique s’aiguise davantage lorsqu’il est question d’un texte littéraire. En effet, l’impossibilité de traduire un texte littéraire est due proportionnellement à sa littérarité. Tout traducteur serait alors un traître, un faux-monnayeur, Traduttore, traditore, disent les italiens.    
            Avec l’essor de la linguistique, dans le sillage de l’œuvre de Benveniste, Jackobson, Hjymlslev et nous en passons et des meilleurs, bon nombre de théories traductologiques, supplantant les théories esthétiques d’antan, celles particulièrement des traducteurs pour qui « la traduction est un art et non une science », se sont appliquées avec acharnement et détermination à redresser toute une philosophie de la traduction, qui se ressource et trouve son assise dans les nouvelles théories linguistiques.
         Cependant, ayant en vue des textes à produire, donc des textes de type idéal, les théoriciens ont depuis belle lurette dressé un mur entre eux et les phénomènes à décrire, leurs définitions normatives et prescriptives détruisent, à vrai dire, de fond en comble ce palmarès qu’est l’histoire de la traduction. 
            « Il existe un fossé entre théoriciens et praticiens. Il arrive même que d’excellents esprits justifient ce clivage, alléguant que ceux qui se mettent au devoir de satisfaire aux exigences de la théorie ne sauraient s’imposer de faire des traductions eux-mêmes »[2]
                  En d’autres termes, entre traducteurs et traductologues, l’abîme ne cesse de se creuser, chaque fois qu’une traduction semble dépasser le stade normatif circonscrit par le théoricien qui s’ingénie à scruter les limites du traducteur, mais sans être conscient des dangers qu’il encourt lorsqu’il est entrain d’élaborer une traduction, sinon, «  A quoi bon une théorie rigoureusement cohérente et scientifique qui ne mordrait pas sur les réalités effectives du métier »[3]. L’impossibilité de concilier théorie et pratique est due, en premier lieu, au fait que « Ce ne sont pas les mêmes personnages qui théorisent et qui traduisent. Il y a ceux qui parlent et ceux qui font »[4]. La devise : « Ce n’est qu’en forgeant que l’on devient forgeron. » doit être mise à l’œuvre dans ce sens.

Problèmes linguistiques

          Si la traduction est conçue comme le fait de passer un texte d’une langue à une autre, ce passage ne s’effectue pas aussi commodément et aisément que l’on peut croire à première vue. En fait, une telle opération s’achoppe, d’abord et avant tout, à des problèmes d’ordre linguistique dus essentiellement et principalement aux différences qui caractérisent les systèmes linguistiques, non seulement au niveau de leur nature, mais aussi et surtout au niveau de leur fonctionnement.
            Autrement dit, la question qui se pose ici est la suivante : Quels sont les problèmes posés dans la traduction par la différence des langues ? En effet, au-delà de la matérialité sonore et graphique du texte saisissable et analysable par les moyens de la linguistique, la culture ou, plutôt, la différence des cultures joue un rôle quasi invisible mais capital dans la traduction, c-à-dire tout le processus qui va du texte de départ qu’il s’agit d’abord d’interpréter, à l’élaboration définitive du texte d’arrivée.
             Avec la naissance d’une linguistique discursive, les principes de la traduction seront remis en question. En guise d’exemple, Bonjour est traduit en arabe par les dictionnaires bilingues par l’expression Sabah al Khair, mais qu’en est-il de Bonjour les dégâts ? Il est donc nécessaire de maintenir la structure textuelle et de la considérer comme un tissu inextricable. Le mot-à-mot est donc à éviter au profit d’une traduction qui tiendrait compte des données non seulement linguistiques du système de départ, mais aussi et surtout des données culturelles qui en sont la projection sur l’écran linguistique de la langue d’arrivée. 
              A ceci viennent se greffer d’autres problèmes non moins épineux. A titre d’exemple, la différence qui existe entre les langues quant au nombre des parties du discours qui en font le squelette, est à prendre en considération. Il suffit de rappeler que la langue arabe ne possède que trois catégories grammaticales alors que le français en contient huit, pour se rendre compte de l’ampleur des problèmes grammaticaux qui en résultent au moment où le traducteur est en pleine élaboration d’une traduction.
              Dans le même sens, quant au nombre, dans la langue arabe, nous distinguons le singulier du duel et du pluriel, tandis que dans les langues indo-européennes, nous n’avons que deux indications du nombre, le singulier et le pluriel. Face à de tels problèmes, le traducteur est convié à trouver des solutions pour combler un vide quelque part.
-         Certains temps ou aspects du verbe sont indiqués en français par des désinences morphologiques alors qu’ils sont rendus en arabe à la fois par des désinences et par des moyens syntaxiques (Constructions spéciales) :
è L’imparfait : il écrivait à Kana yaktubu
è Futur : Il écrira : sawfa yaktubu
-         L’arabe connaît le duel dans les noms, les pronoms, les verbes et les adjectifs, le français l’ignore complètement
-         L’arabe marque le genre dans la forme du verbe conjugué aux 2ème et 3ème personnes (singulier et pluriel) et dans les pronoms personnels à la 2ème personne, ce que le français ne fait pas
          Les problèmes lexicaux sont aussi embarrassants que les problèmes syntaxiques, sans oublier les problèmes phonétiques ou phonologiques. Force nous est de constater dans ce sens que les voyelles nasales du français, par exemple, n’existent pas dans l’arabe, ou encore la présence dans l’arabe de consonnes inconnues en français et dans la plupart des langues européennes.

Les types de traduction

v Dans son article intitulé « Aspects linguistiques de la traduction », Roman Jackobson distingue trois types de traduction :
·        La traduction intralinguale : Il s’agit d’une reformulation qui consiste à interpréter des signes linguistiques au moyen d’autres signes linguistiques de la même langue.
·        La traduction intersémiotique : il s’agit d’une transmutation qui consiste à interpréter des signes non linguistiques au moyen de signes linguistiques ou vice versa.
·        La traduction interlinguale : C’est la traduction proprement dite. Elle consiste à interpréter des signes linguistiques d’une langue de départ, au moyen de signes linguistiques d’une langue d’arrivée.
à  Dans un article célèbre, Roman Jakobson distingue trois formes de traduction : la traduction intralinguale, celle effectuée au sein de sa propre langue, dont de nombreux exemples ont déjà été donnés ; la traduction interlinguale, ou traduction « proprement dite » ; enfin la traduction intersémiotique, c’est-à-dire celle qui consiste à passer d’un système de signes à l’autre. En portant à l’écran Le Procès de Kafka, Orson Welles procède manifestement à cette troisième sorte de traduction.
v Quant à Jean Delisle, il évoque deux types de traduction, en fonction de leur finalité :

·        La traduction pédagogique scolaire :
-         Elle est essentiellement un exercice didactique utilisé, non comme une fin en soi, mais comme un moyen d’aide à l’enseignement-apprentissage d’une langue étrangère à travers la langue maternelle.
-         Elle vise l’acquisition d’une compétence langagière basée sur un jeu de comparaison. Elle part du postulat que « la langue seconde ne s’apprend qu’à travers l’écran structurelle de la langue maternelle »  Déjean Le Féal
-         Selon l’expression d’Edmond Cary, « L’enseignement se sert de la traduction, il ne la sert pas ». C’est-à-dire qu’en tant que praxis à l’œuvre dans le processus de l’enseignement-apprentissage, la traduction n’est pas une fin en elle-même.
·        La traduction professionnelle :
-         Elle ne consiste pas à transposer littéralement les énoncés selon un jeu de correspondance mot-à-mot codifié des dictionnaires bilingues.
-         Elle est une transmission de textes, une restitution et une reformulation de leur contenu dans une langue d’arrivée.
-         Elle porte sur les discours et non sur la langue. Elle est fondée sur le modèle interprétatif et non sur le modèle linguistique-comparatif.
-         Elle recourt non seulement à des paramètres linguistiques, mais aussi à des paramètres non-linguistiques (Le contexte verbal, historique, culturel,..) Elle obéit donc au schéma suivant :
                      Comprendre à Traduire à Faire comprendre

Fonctions de la traduction

·       Fonction linguistique :
-         En apprenant à traduire, nous apprenons à la fois à manipuler la langue de départ et d’en apprécier les affinités avec la langue d’arrivée
-         La traduction peut permettre de développer un bilinguisme, voire un plurilinguisme équilibré.
-         Reproduire et mémoriser des signes linguistiques et leur bon usage
-         Diminuer le sentiment de frustration et de glossophobie.
-         Perfectionner les compétences expressives et communicationnelles. 
·        Fonction interculturelle
-         La traduction comme vecteur d’interculturalité, comme ambassadrice des cultures, celle du moi et celle de l’autre.
-         Instaurer une compétence biculturelle voir pluriculturelle
-         Développer un regard ouvert sur la culture de moi et celle de l’autre.
-         La traduction est donc un espace d’échange interculturel, un point par lequel transitent les cultures et une source de leur enrichissement puisqu’elle permet de puiser chez l’autre des éléments culturels indispensables pour l’épanouissement du moi.
·        Fonction communicationnelle :
-         Au postulat « On ne peut pas ne pas communiquer » répond le postulat suivant « On ne peut pas ne pas traduire ».
-         La traduction est un besoin indispensable afin de favoriser un échange fructueux dans tous les domaines social, culturel, intellectuel,
-         La traduction est un acte de communication interpersonnel, interlinguistique et interculturel obéissant aux mêmes lois qui régissent la communication intralinguale ordinaire.
ð La finalité d’une traduction est de nous dispenser de la lecture du texte original »[5]

Traduction littéraire

§  Littérarité et littéralité
          Dans son ouvrage  De optimo genere oratomm, Cicéron s’attèle à spéculer  sur la nature de l'activité traductive en tant que telle, en discernant déjà deux modes de traductions:
            -  La traduction dite ut intelpretes  (autrement dit la traduction littérale)
           -  La traduction  ut orator,  traduction qu'il privilégie, celle - ci étant, à ses yeux, une forme de recréation, le traducteur étant alors assimilé à l'écrivain.
          Il faut signaler dans ce sens que le texte de départ peut-être parfois ignoré, voire camouflé par le traducteur; surtout dans le cas de la pseudo-traduction, il n’a même qu’une existence imaginaire. Ici, la question qui saute aux yeux est de savoir si la norme dominante en matière de la traduction est-elle du type adéquat, c-à-dire celle de la langue de départ, ou de type acceptable, c-à-dire orienté vers le système d’arrivée. Ici l’on parle tantôt de la traduction sourcière, c-à-dire centripète, et la traduction cibiliste, c-à-dire centrifuge.

§  Les théories de la traduction littéraire

             En matière de la traduction littéraire, il est indispensable de nous arrêter sur trois théories fondamentales :
·        D'abord, celle de W. Benjamin qui plaide pour la littérarité de la traduction jusque dans le transfert de la syntaxe de l'original. Autrement dit, pour qu’une traduction soit fidèle à cent pour cent, il faut qu’elle subvertisse la langue d’arrivée afin de l’adapter aux caractéristiques esthétiques du texte de départ.  Enfin, à supposer que cet écueil de l’intraduisibilité soit surmontable et surmonté, reste une dernière limite apparemment infranchissable, qu’André Gide, s’appuyant sur son expérience de traducteur, met bien en lumière :
                     « Il importe de ne pas traduire des mots, mais des phrases et d’exprimer, sans rien perdre, pensée et émotion, comme l’auteur les eût exprimées s’il eût écrit directement en français, ce qui ne se peut que par une tricherie perpétuelle, par d’incessants détours et souvent en s’éloignant de la simple littéralité. »
              Pour André Gide, le traducteur doit se mettre dans la peau de l’écrivain. C’est concevoir la traduction non comme une simple reproduction de l’original, mais en tant que production d’un versant de l’œuvre que seule la traduction fait apparaître : l’intraduisible n’est plus alors un frein, mais un moteur, non plus un ergon (œuvre), mais une energeia (puissance), dirait Wilhelm von Humboldt.


·        Puis, celle défendue par Reiss et Vermeer à propos de la fonction de la traduction, appelée aussi skoposthéorie, selon l'élément nommé skopos ou finalité. Cette théorie part du principe que tout texte est une action communicative encadrée dans des coordonnées spatio-temporelles et dont le but est de remplir un objectif concret de communication.
D'après leur théorie, le traducteur doit tendre  à un texte qui produise le même effet sur le récepteur en langue cible, étant donné qu'on ne traduit pas seulement dans une autre langue, mais aussi dans une autre culture. Ici se pose la question suivante : Qu’est-ce qui est transmis par la traduction ? On répondra, à titre d’hypothèse, qu’une traduction réussie transmet une œuvre, non une langue. Cette distinction paraît capitale dès qu’il s’agit de littérature, d’œuvre considérée comme littéraire. Lire une œuvre littéraire en traduction n’est pas lire une traduction de l’allemand ou du grec, c’est lire une œuvre écrite par Goethe ou Eschyle en français.

·        Finalement, il convient de mentionner la théorie des polysystèmes de l'école de Tel - Aviv. Itamar Even Zohar est le défenseur principal du cultural dans les théories traductologiques. Il remarque l'importance des éléments culturels dans le processus traductologique  et prône que le traducteur doit intégrer les éléments étrangers dans la langue cible, tout en leur accolant des informations permettant au récepteur de les comprendre. C'est notamment l'époque  à  laquelle on opposera les conceptions de traduction coloniale et traduction post - coloniale, la première se voulant ethnocentrique, éradiqant les éléments culturels autochtones dans le but de dévaloriser les cultures soumises  à  la domination coloniale; la seconde restant fidèle aux éléments culturels du texte source.   

·        Critique de la transparence

              Dans Les Belles Infidèles, Georges Mounin distingue deux manières fondamentales de traduire. La première est celle des « verres transparents », pour reprendre la métaphore de Gogol. De telles traductions, pour Georges Mounin, « traduisent l’œuvre sans lui garder la coloration de sa langue, ni de son époque, ni de sa civilisation originelles ». Parce que dans ce cas la traduction nécessiterait de trouver pour chaque mot, pour chaque expression, pour chaque tournure, et pour chaque effet phonétique ou musical ou stylistique réel, les équivalents français les plus naturellement utilisés.
               En effet, à la traduction avec les « verres transparents » s’oppose une deuxième sorte de traduction, celle effectuée avec les « verres colorés », qui consiste à « traduire mot à mot de façon que le lecteur, ligne après ligne, ait toujours l’impression dépaysante de lire le texte dans les formes originales (sémantiques, morphologiques, stylistiques) de la langue étrangère, – de façon que le lecteur n’oublie jamais un seul instant qu’il est en train de lire en français tel texte qui a d’abord été pensé puis écrit dans telle ou telle langue étrangère».
                 Mais traduire ainsi n’oblige-t-il pas à écrire en « mauvais français »,ne pervertisse-t-il pas la langue française et son bon usage? Et cette question en entraîne une autre : est-ce tout simplement compatible avec une démarche véritablement littéraire ?
                Plutôt que de disposer de versions « élégantes » d’un texte donné, d’autres aimeront approcher l’original de plus près. C’est le cas de Nabokov traduisant en anglais Un héros de notre temps de Lermontov. Il ne craint nullement d’effaroucher ses lecteurs anglophones :
                     « En premier lieu, il faut se débarrasser une bonne fois pour toutes de la notion conventionnelle qu’une traduction « doit se lire aisément », et « ne doit pas donner l’impression d’être une traduction ». […] Le lecteur anglais doit savoir que le style de  écrits en prose de Lermontov est dépourvu d’élégance […] : ses comparaisons et ses métaphores sont d’une extrême banalité ; ses épithètes sont autant de clichés que seul leur emploi incorrect vient à l’occasion racheter ; les répétitions dans les passages descriptifs irritent le puriste. Et tout cela, le traducteur doit le rendre fidèlement, pour grande que soit la tentation de combler les vides et de supprimer les redondances 
                        L’opposition entre verres transparents et verres colorés, ou, pour utiliser une terminologie plus récente, entre traduction cibliste – «orientée vers la cible», disent les Anglo-Saxons (target oriented) – et traduction sourcière (source oriented) vole ici littéralement en éclats. La traduction est tantôt l’une, tantôt l’autre, quand ce n’est pas les deux à la fois, dans toutes les combinaisons possibles : elle est à géométrie variable :
                « la traduction n’est plus conçue seulement comme le respect de la forme linguistique (traduction littérale ou fidèle) ou bien seulement comme le respect du fond (traduction libre ou infidèle) mais comme « la translation aussi exacte que possible du rapport exact entre la forme et le fond de l’original » ainsi que le souhaite Cary »



§  Critères d’évaluation d’une traduction

                     Mais qu’est-ce qu’une œuvre « bien traduite » ? On peut retenir le double critère qu’Antoine Berman suggère pour évaluer les traductions. Le premier est d’ordre poétique :
            « La poéticité d’une traduction réside en ce que le traducteur a réalisé un véritable travail textuel, a fait texte, en correspondance plus ou moins étroite avec la textualité de l’original », indépendamment des objectifs du traducteur et des stratégies auxquelles il a recours dans sa traduction.
            Le second critère est d’ordre éthique: il « réside dans le respect, ou plutôt, dans un certain respect de l’original » Berman cite à ce sujet Jean-Yves Masson : « Si la traduction respecte l’original, elle peut et doit même dialoguer avec lui, lui faire face, et lui tenir tête. La dimension du respect ne comprend pas l’anéantissement de celui qui respecte son propre respect. Le texte traduit est d’abord une offrande faite au texte original»
       
        C’est concevoir la traduction non comme une simple reproduction de l’original, mais en tant que production d’un versant de l’œuvre que seule la traduction fait apparaître : l’intraduisible n’est plus alors un frein, mais un moteur, non plus un ergon, mais une energeia, dirait Wilhelm von Humboldt.

               Traduction et Littérature Comparée
ü Yves Chevrel

           Yves Chevrel voit dans la traduction une activité permettant l’intercommunication entre individus appartenant à des cultures différentes et parlant des langues différentes. En littérature, la traduction a pour fonction de permettre à un individu parlant une langue A de lire une œuvre étrangère écrite en langue étrangère B dans sa propre langue. A son sens, en parlant de la traduction littéraire, se pose la question du statut de l’œuvre traduite par rapport à l’original. Faut-il, dès lors, considérer l’œuvre traduite comme une œuvre autonome, ou bien, faut-il y voir un facsimilé de l’original ? A cela s’ajoute une autre question non moins problématique : Vaudrait-il mieux traduire un texte à partir de l’original ou à partir d’une traduction-relais ? En guise d’exemple, de son vivant, l’écrivain Japonais Yukio Mishima a manifesté son désir d’être traduit dans les langues européennes à partir de la traduction anglaise de ses œuvres.
                 Dans la même perspective, Chevrel considère les textes traduits comme un vecteur d’échanges culturels, d’où la fonction interculturelle de la traduction.

ü Pichois-Rousseau-Brunel

           Pour les trois auteurs, la traduction vient combler l’ignorance où se trouve le grand public devant les langues étrangères. La traduction est, à leurs yeux, le moyen le plus sûr et le plus aisé pour que le lecteur puisse accéder aux chefs-d’œuvre de la littérature mondaine. Selon leur expression, les traductions à partir de l’original offrent, certes, plus de garanties, mais ne peuvent  pas prétendre à concurrencer celui-ci. Pourtant, à toute règle, il y a des exceptions : Edgar Alain-Poe, en guise d’exemple, acquiert une renommée estimable dont il ne rêvait pas grâce notamment aux traductions en France de Baudelaire et de Mallarmé. Il arrive même que des traductions fassent un succès de librairie beaucoup plus immense que celui qu’a eu l’œuvre d’origine.
            Par ailleurs, pour Pichois-Rousseau-Brunel, les poètes sont les mieux disposés ou qualifiés pour exercer le métier de traducteur, la preuve en est à leur propre dire que « Les meilleurs poètes de ce temps sont des traducteurs de grand talent : C’est le cas d’Yves Bonnefoy qui, pour la première fois peut-être, a donné des versions satisfaisantes de Shakespeare en français, c’est le cas de Philippe Jaccottet, à propos de qui Jean Starobinski a parlé de médiation inventive ».

ü Daniel-Henri Pageaux

         Pour Daniel Henri Pageaux, il ne peut y avoir lieu de Littérature comparée, sans qu’il y a ait traduction, car, à l’instar de ses précurseurs Pichois et Rousseau, il pense que le comparatiste, se trouvant dans l’embarras d’apprendre toutes les langues dont il veut étudier les littératures, est contraint à recourir aux traductions toutes faites. En effet, pour lui, « Traduire, c’est faire passer un texte d’une culture à une autre, d’un système littéraire à un autre, c’est introduire un texte dans un autre contexte ». Cette définition fait de la traduction une démarche comparatiste, consistant à étudier le rapport entre les cultures à travers la littérature. La relation entre littérature comparée et traduction serait une relation d’emboîtement, dans la mesure où la littérature Comparée recouvre la traduction, se sustente et survit grâce à elle, et en fait l’un des centres de ses intérêts.

Traduction et genres littéraires

          Dans son ouvrage Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, J-M Schaeffer a eu raison de mettre l’accent sur les facteurs de remodelage de la généricité, à savoir la traduction. Il va de soi que tout texte est contextuel et qu’il est perméable à toute réactivation. La traduction peut avoir une incidence sur la nature d’un genre et sur sa perception par un lecteur. On comprend ainsi comment l’esthétique de la réception influe sur la question des genres : celle-ci est liée à des problèmes de décontextualisation et de recontextualisation et la traduction-adaptation devient un facteur de dérive générique aboutissant à un remodelage important de la généricité du texte-source :
                             « Tout passage d’une langue à une autre implique évidemment une recontextualisation. On peut admettre comme règle générale que lorsque la langue de départ et la langue d’arrivée font partie de deux sphères culturelles hétérogènes, certains des traits génériques du texte source risquent de perdre leur fonction dans le texte d’arrivée ou encore d’être liés à des identifications génériques non pertinentes pour le texte source » 
             La notion de recontextualisation apparaît donc comme importante pour une approche comparatiste. La traduction et la réception en France des Mille et une Nuits de Galland transforment au début du XVIIIème siècle des textes en contes orientaux, ce qu’ils n’étaient évidemment pas dans leur culture d’origine.
          La compatibilité entre les principes textuels et génériques des systèmes en contact est limitée par définition, lorsque les marques génériques sont reconnues de manière parallèle, il est rare qu’elles correspondent à des positions hiérarchiques parallèles.



[1] Jean-René Ladmiral, Traduire : théorèmes pour la traduction, Gallimard, 1994
[2] Ibid., P. 7
[3] Ibid., P. 9
[4] Ibid., P. 88
[5] Ibid., P.15 

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