Penser les rapports entre
littérature et sociologie revient, non seulement à déceler dans les textes
littéraires les structures sociales qui sous-tendent le discours idéologique dont
ils sont porteurs, comme le prônaient les marxistes ou les althussériens,
mais encore à dénicher dans le sociétal les mécanismes linguistiques qui organisent
la formation discursive, déterminent les choix sémantiques et
conditionnent la genèse et la réception d’une œuvre littéraire. Partant, ce que
Tynianov et les formalistes ont eu beau jeu de concevoir comme « la
corrélation de la littérature avec les séries voisines »,
représente, à plusieurs égards, une première enjambée vers la remise en cause
d’une vieille idée marxiste, selon laquelle toute littérature est véhiculaire
d’une idéologie, pour lui opposer une idée plutôt originale, où l’accent est
mis sur le caractère verbal de la corrélation entre la vie
sociale et la littérature. Autrement dit, avec Tynianov et ses épigones,
c’est l’idée d’une médiation linguistique entre le littéraire et le social qui
prend le dessus sur la simple analyse marxiste des manifestations de la lutte
des classes à l’aune des textes littéraires, compte tenu du fait que ce n’est qu’en
tant que langages que les idéologies sont absorbées et pastichées par la
littérature, qu’on songe à l’idéal leibnizien tourné en dérision par Voltaire,
ou aux idéologies humanistes fortement parodiées dans la Nausée de Sartre.
En un mot, il s’agirait pour la
sociocritique d’étudier le « champ littéraire » (Bourdieu)
comme un « fait social » (Durkheim), se
situant au confluant de la structure sociale et de la structure
textuelle (Zima). En effet, Claude Duchet, auquel le concept de sociocritique
fut souvent attaché, a eu le mérite de fournir une définition œcuménique de
l’approche sociologique comme « une poétique de la socialité, inséparable
d’une lecture de l’idéologique dans sa spécificité textuelle ». Par
ailleurs, Lucien Goldman, l’une des figures-phares de la sociologie du
texte, postule, à l’instar de Lukacs, Mannheim et Hauser
dont il développe certaines pensées, des homologies structurales entre des
œuvres littéraires et des visions du monde comme « le Jansénisme
tragique » dont il s’attèle à dévoiler les manifestations littéraires
dans les Pensées de Pascal et les Tragédies de Racine. Lukacs,
quant à lui, a trouvé aussi bien dans la sociologie de la connaissance de
Mannheim que dans les théories du Cercle de Sonntagskreis un bon vent pour ses
voiles, lui permettant de concevoir les œuvres littéraires comme des systèmes
conceptuels. Goldmann, qui se réclame de l’œuvre critique du jeune Lukacs, en
va même jusqu’à affirmer, dans une discussion avec Adorno, que l’œuvre
d’un auteur comme Beckett peut avoir un équivalent conceptuel, idée qu’il
semble, bel et bien, emprunter à l’esthétique hégélienne.
De tout ceci, nulle conclusion
ne peut être tirée, sinon le constat d’une abondance des approches à
l’intérieur même de la sociocritique. Mise à part l’influence du marxisme et du
durkheimisme, l’évolution de la sociocritique doit une fière chandelle à la
sémiotique greimassienne. C’est ainsi de la fusion de ces deux approches qu’est
née une espèce de socio-sémiotique qui, sous la houlette de Greimas, a
démontré que le discours est lié à la société en tant que champ d’idées
conflictuelles grâce à un fondement logico-sémantique et actanciel. C’est là
tout le mérite de la sémiotique greimassienne, d’autant plus qu’à l’encontre de
l’approche syntaxique et inter-phrastique de Harris, elle a réussi à
concevoir le discours comme une structure narrative reposant sur un modèle
actanciel et sur des choix logico-sémantiques. Greimas, lui-même, l’avait déjà
souligné, lorsqu’il avait démontré que « c’est le paradigmatique qui
organise le syntagmatique ». Idée d’où Prieto tirera la
conclusion suivante selon laquelle la direction du parcours narratif est
déterminée par des structures sémantiques paradigmatiques sous-jacentes aux
discours
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