Nul ne peut nier l’existence d’un réseau de confluences entre littérature et politique, réseau dont les écheveaux deviennent davantage difficiles à démêler, du moment qu’il s’agit, pour les écrivains, d’écrire dans une langue seconde, en l’occurrence la langue du colon. Ecrire dans une langue seconde relève, au fond, d’une contrainte politique. Politique, parce que, d’abord et avant tout, prendre la plume est un acte d’engagement de l’écrivain dans son temps. « L’artiste, disait Camus, qu’il le veuille ou non, est embarqué. […]. Tout artiste est embarqué dans la galère de son temps. ». Il suffit, pour s’en rendre compte, de rappeler que la littérature algérienne d’expression française, entre autres, est née d’un besoin de résistance, de contestation et de prise de position. Ecrire est politique par ceci même que l’irrigation du politique dans le texte littéraire n’est pas toujours aussi tonitruante que le pensait un certain Stendhal en disant que « la politique dans une oeuvre littéraire, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert », mais elle est, aussi et surtout, le mouvement qui travaille toute esthétique scripturale, du moment qu’il lui revient le droit de déterminer le choix de la langue, le ton adopté et les sujets traités.  
        Autrement dit, la relation entre politique et littérature n’est pas à prendre uniquement comme le déploiement thématique de la réflexion politique sur l’espace littéraire, mais encore comme l’activité mimétique par laquelle la littérature acquiert le statut d’une forme politique. En ce sens, le Voyage au bout de la nuit de Céline revêt un aspect éminemment politique, dans la mesure où la langue, dans son aspect polyphonique, plurilingual et pluristylistique pour parler comme Bakhtine, devient le champ de bataille même du conflit politique des classes. Rien de sidérant à voir ainsi se côtoyer dans le récit du narrateur spéculation philosophique, harangue sermonnaire, joute érotique, réflexion poétique, discours revanchards…    
              Dans le même ordre d’idées, si, à en croire encore J.-P. Sartre, la littérature « est elle-même idéologie», il conviendrait de savoir en quoi l’idéologique est-il omniprésent dans les strates textuelles des lettres francophones. En effet, Philippe Hamon, dans sa tentative d’étayer les fondements d’«une théorie des rapports entre le textuel et l’idéologique», en vient à suggérer que le politique se laisse poindre à l’horizon du texte littéraire à travers, entre autres procédés, ce qu’il appellera « la mise en sourdine », laquelle stratégie consiste en une opération de camouflage des traces du discours politique, de telle sorte que seul le lecteur averti et sensible aux détails les plus minutieux pourrait en palper l’apparition à la surface du texte. Il s’agit plus précisément de « déléguer l'incarnation des autorités et des normes, soit à des entités diluées et délocalisées (les cancans, les rumeurs, l'opinion, les « on-dit » [...], les clichés, etc.,) soit à des personnages marginalisés ou très secondaires participant peu à l'action, voire contradictoires avec eux-mêmes.». 
           Ainsi conçue, l’inscription de l’idéologique dans le texte littéraire passe, par exemple chez les réalistes, par la mise en scène d’un rituel officiel dans des séquences narratives qui s’offrent comme étant dénuées d’importance comme les séances du tribunal, les cérémonies officielles, les scènes de distribution des prix, etc... Ces rites sociopolitiques sont autant de lieux de dévoilement des normes ambiantes et des idéologies dominantes, mais aussi des cibles privilégiées de la plume virulente de tout romancier.
         

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