Le titre « Sémiotique
littéraire »[1],
de par l’impression de cohérence qu’il offre, crée chez le lecteur
un horizon d’attente qui prévoit l’élaboration d’un système archétypal permettant
d’analyser le texte littéraire à la lumière d’un ensemble de dispositifs
scientifiques bien définis. Michel Arrivé semble en être hautement conscient,
attirant, du même coup, l’attention du lecteur sur le statut épistémologique
labile de la sémiotique, et, par conséquent, de la sémiotique littéraire,
l’ambiguïté s’aiguisant davantage par le statut encore plus problématique de la
notion de « littérarité». Le champ qu’il entreprend d’explorer est un
champ à labourer continuellement, rien n’étant, sinon jamais acquis, du moins
jamais figé dans la sémanalyse du discours littéraire, vu, non seulement, la
pluralité des approches sémiotiques, mais, aussi et surtout, en raison de la
dissection de la notion même de «texte», notion à laquelle Hjelmslev accorde
une place primordiale dans ses Prolégomènes, allant même jusqu’à
affirmer que « la
théorie du langage s'intéresse à des textes ».
Par ailleurs, Arrivé a eu beau jeu de s’arrêter
sur les confusions épistémologiques et méthodologiques auxquelles donne
naissance l’illusion de l’existence de différences entre «sémiotique» et «sémiologie». A en
croire encore Greimas, la croyance en l’existence d’une différence radicale entre
les deux appellations est spécieuse et prête à l’erreur. Si le propos de
Hjelmslev est de faire de la sémiologie «la théorie générale de toutes les sémiotiques», Greimas, Lévi-Strauss, Benveniste, Barthes et Jakobson
sont convenus de retenir l’étiquette de « sémiotique ». D’ailleurs,
Arrivé, de son statut de sémioticien, trouve dans la manière qu’a Greimas de
réduire une telle confusion qui se produit sitôt qu’il s’agit du couple sémiotique/sémiologie
à une tautologie d’origine historique, « une interprétation excessivement rassurante d’un phénomène
étonnant : la coexistence de plusieurs termes pour désigner une activité
unique. ». A
revisiter l’histoire moderne de la linguistique, il se trouve que Saussure et
Peirce, d’une manière synchronique mais indépendante, ont mis en œuvre deux
pratiques scientifiques fondées toutes les deux « sur le concept de signe comme combinaison d’un
signifiant et d’un signifié », pour reprendre à la lettre le sémioticien italien Umberto Eco. Par
voie de conséquence, parler de « sémiotique littéraire » reviendrait
à considérer la littérature comme un système de signes ou de signification.
L’opposition sémiotique/sémiologie, réduite souvent à un rien du tout,
se trouve, néanmoins, être le tout du rien, constituant, ainsi, en soi le grain
de sel qui donne sens et consistance à cette question non moins épineuse.
Roland Barthes en est allé parfois même jusqu’à réserver le champ de la
sémiologie à l’étude des « objets
linguistiques » et
la sémiotique à l’étude des « objets non-linguistiques ». Dans ce cas toute œuvre littéraire serait en mesure de
convoquer, dans son besoin inassouvi d’être analysée, et sémiotique et
sémiologie, étant elle-même le produit d’un ensemble d’éléments linguistiques
et non-linguistiques, textuels, para-textuels et non-textuels. Une distinction
d’une toute autre nature entre Sémiotiques cosmologiques et sémiotiques
anthropologiques, est établie par Greimas, lequel assigne à la sémiologie la
tâche de prendre en charge « les sciences de l’Homme » et à la
sémiotique la tâche d’étudier « les sciences de la nature ». Par
surcroît, nous en déduisons, avec Coquet, qu’il est possible de consacrer
l’étiquette de sémiotiques « aux seules sciences de l’expression »,
et l’étiquette de sémiologie « aux descriptions du contenu ».
Cette
ambiguïté dont nous avons palpé jusqu’ici les contours s’aiguise par
l’attribution au concept de la sémiotique de l’adjectif
« littéraire » qui, loin de tracer les frontières de ce champ, a fini
par désigner « un champ sémiotique » tout court. Pire encore, les
adjectifs « textuel », « discursif et narratif »,
« narratif et textuel », se voient, parfois anarchiquement même, se
substituer à l’adjectif « littéraire ». Ainsi, obéissant au principe
de « la causalité », les imprécisions ne font que s’accumuler les
unes aux autres, dans un mouvement cyclique qui nous renvoie, encore une fois,
à la narratologie et/ou à « la sémiotique narrative ». C’est que la
sémiotique a ceci de louable qu’elle détient le pouvoir de s’incruster dans des
champs où on s’y attend le moins. Il se trouve néanmoins que c’est grâce à elle
que la littérature, son objet favori, a été considérablement tarabiscotée. Se
situant volontiers à la croisée de disciplines ayant pour objet d’étude le
texte littéraire, la sémiotique littéraire a, à maintes fois, tenté
d’incorporer à son domaine et la stylistique qui, jusque-là, n’en est pas
parvenue à se faire une place à part entière, et la rhétorique qui s’est
dissoute dans l’analyse des figures et des tropes, et la poétique qui s’est
longtemps distinguée d’elle.
[1] Sémiotique
littéraire, Par Michel Arrivé
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