Par sa nature, le récit de voyage est un genre hybride, hybride à
la fois au niveau générique, modal et thématique. Qui dit voyage, dit
déplacement d’un territoire à un autre. Par conséquent, au niveau métatextuel,
une Relation de voyage constitue un espace propice où les genres
transitent, « abordent et transmutent ». En un mot, le récit
de voyage est le modèle générique où le genre fonctionne comme « une
forme labile ». Dans son ouvrage Le Tour des Horizons, Adrien
Pasquali définit le récit de voyage comme « un carrefour et un montage
de genres et de types discursifs ». Un carrefour parce qu’à l’horizon
du récit de voyage viennent s’entrecroiser plusieurs genres, à savoir :
l’autobiographie, le journal, le compte-rendu, le reportage ; et aussi
parce qu’à un genre pareil viennent se greffer différents types discursifs, à
la fois le narratif et le descriptif, le dialogique et l’épistolaire, le
scientifique et le littéraire, l’objectif et le subjectif. Un montage, parce
qu’il constitue un réceptacle homogène, c’est comme s’il s’agissait du moteur
d’une voiture qu’on ne peut pas facilement démonter par un tournevis. Un
montage aussi parce qu’il s’agit là d’un :
« genre composé
d’autres genres aussi bien qu’un genre qui a contribué de manière importante à
la genèse du roman moderne et au renouveau de l’autobiographie ».
Si l’on en croit Pasquali, le récit de voyage a favorisé le
renouvellement de l’autobiographie, notamment avec Georges Perec, Claude
Simon, Pierre Bergounioux et nous en passons et des meilleurs. Il a du même
coup concouru à la naissance du roman moderne. En effet, d’André Gide à J-M.G.
Le Clézio, en passant par Céline et Segalen, le roman est devenu le lieu où
l’écriture du voyage et le voyage à travers l’écriture s’entrecroisent. De même
que le récit de voyage, le roman devient dans les années Soixante le lieu où le
récit entre dans une ère du soupçon.
Pour ne pas nous y
attarder, revenons à nos moutons. Il convient à notre sens de mentionner que la
dimension générique du récit de voyage est problématique, dans la mesure où
celui-ci se situe dans un espace de l’entre-deux, oscillant entre deux rives, à
califourchon entre, d’un côté la littérature et le littéraire et de l’autre le
testimonial et le référentiel. D’où la question : Comment est-ce qu’il est
possible de susciter chez le lecteur ce que Barthes appelle le plaisir du
texte tout en veillant à produire un effet de réel, gage de la
véracité des événements rapportés ?
La problématique générique s’aiguise encore plus si l’on tient compte de
l’immixtion au texte de photographies qui n’ont pas seulement une fonction
expectative ou programmative, mais encore une fonction testimoniale attestant
de la véracité des faits racontés et des descriptions entreprises.
Cependant, la présence du Je en tant
qu’un sujet d’énonciation historique et en tant que personne pronominale
qui prend en charge la narration, détruit, de fond en comble, tout ce Palmarès
que l’auteur-voyageur érige pour attester de son souci d’être sincère et
authentique. Quoique d’apparence, parfois, l'écrivain, lorsqu’il entame la
description, laisse l’impression qu’il s’efface quelque peu et qu’il prend ses
distances par rapport à ce qu’il voit, le récit de voyage dans son intégralité
apparaît comme la projection sur l’écran culturelle d’une culture d’arrivée des
éléments culturels de la culture autochtone du voyageur, selon un jeu de miroir
où l’auteur consciemment ou inconsciemment procède dans sa description des
faits et états de fait, par comparaison des schèmes culturels qui sont les
siens aux schèmes culturels qui sont ceux de l’autre.
En somme, les procédés utilisés
pour faire comprendre l'autre seront l'opposition (l'ailleurs
est le contraire de ce que nous connaissons) ou la comparaison-analogie (l'ailleurs
ressemble par certains côtés à des choses que nous connaissons déjà.). D’où l’importance primordiale de la
description : c'est elle qui permet de montrer les lieux, les personnes et
les actes qui caractérisent les univers lointains. Topographie et portrait sont
des types très utilisés. L'explication se montre prudente ou, au
contraire, péremptoire. Pour décrire ce qui est étranger, l'auteur ramène
l'inconnu à du connu du destinataire par le procédé de comparaison. Le voyageur
voit ainsi le référent nouveau à travers le prisme de sa propre culture, de ses
connaissances. Il s'ensuit des effets de miroirs où l'auteur se projette
d'une certaine façon, -et projette son lecteur-, dans ce qu'il observe. Les
images et les représentations continuent de nous servir de repères avant et
pendant nos voyages. Elles se présentent le plus souvent sous la forme de
préjugés, de stéréotypes et d'idées fixes qui induisent un ensemble de
comportements tels que le rejet, la peur, la méfiance, etc. Les voyages et les
voyageurs qui nous importent ici sont ceux qui ont réussi à outrepasser ces
représentations et sont parvenu à une nouvelle vision des choses.
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