La tâche que s’est assignée Jean-Claude Coquet est
d’ébaucher une lecture sémantico-linguistique d’un des poèmes de Guillaume
Apollinaire en venant rappeler que la langue est, avant tout, « une structure informée de signification »[1]. Lire c’est, d’abord et
avant tout, identifier la relation sémantique qui scelle les mots. A supposer
que tout agencement linguistique est une représentation de la logique d’une
pensée préalablement établie et scripturalisée par la suite par le truchement
de signes linguistiques, J-C. Coquet s’escrime dans son article de lire dans et par les mots le discours
poétique apollinarien et d’en déceler les mécanismes sémantiques qui
définissent les relations entre les syntagmes.
L’originalité de J-C. Coquet est
d’avoir mis l’accent sur la structure syntactico-sémantique des Colchiques de
G. Apollinaire, alludant de ce fait à la modernité poétique qui se laisse
poindre à l’horizon du recueil « Alcools ».
Pour ce faire, il s’est focalisé sur une approche qui tient sa vigueur
de la sémantique structuraliste, parce que, à son sens, cette approche est plus
avancée par rapport à la sémanalyse et la sémantique générativiste. De
surcroît, son choix s’explique également par le fait que c’est l’approche qui
permet le mieux de voir clair dans l’intelligibilité du texte.
Compte tenu du
contexte littéraire français du XXème siècle où l’on distinguait entre poètes du
signifiant et poètes du signifié, Coquet s’efforce dans son article de montrer
qu’Apollinaire ne se range ni du côté des premiers, ni du côté des seconds, en
prenant en considération cette transmigration qui se fait à l’intérieur du
texte entre les motifs poétiques et les motifs référentiels, de sorte qu’un
lecteur avisé constatera, sans nul doute, que l’illisibilité de la poésie de G.
Apollinaire est due tant à la rénovation des formes poétiques qui s’opère sur
le niveau syntagmatique des poèmes qu’au système syncrétique qui apparie mythe,
légende, histoire et vécu sentimental dans un labyrinthe sinueux se dessinant à
l’entrecroisement du contenu et de la forme.
En guise
d’exemple, Coquet attire l’attention du lecteur sur les schémas structurels des premiers vers de « Les colchiques ». D’une
part, les relations sémantiques Sujet-Objet se dévoilent, après une étude
lucide, comme étant ambigües. Toutefois, le verbe pronominal du troisième vers
laisse comprendre que l’action -au
sens sémiotique du terme- est accomplie par un actant-sujet (Les vaches) devenant lui-même actant-objet
(elles-mêmes) dans le vers qui suit.
D’autre part, les traits
distinctifs de l’énoncé sur le plan phonique, prosodique et grammatical des deux vers ne font que
renforcer le processus des relations sémantiques entre les sèmes. A juste
titre, utile est de mentionner que dans la version originale du poème précité
datée de 1907, les deux vers n’en formaient qu’un.
Certes, la coupure en deux hémistiches a entraîné un
boitement de la rime. Nonobstant ce, l’unicité des deux vers est maintenue
harmonieuse, grâce à un jeu compensatoire d’assonances et d’allitérations.
Les vaches y paissant Lentement s’empoisonnent
A la répartition en chiasme des accents qui assure la
cohésion de l’énoncé, correspond sur le plan grammatical une inversion
syntagmatique.
L’ordre
/déterminé + déterminant/ du deuxième vers (Les vaches (déterminé) y paissant
(déterminant)) est interverti dans le vers suivant : /déterminant + déterminé/
(Lentement (déterminant) s'empoisonnent (déterminé)).
Les vaches y
paissant Déterminé Déterminant Déterminant Déterminé
Lentement s’empoisonnent
Toutefois, le deuxième hémistiche «Lentement
s’empoisonnent» est devenu, d’une version à l’autre, une séquence autonome.
Prosodiquement, il se distingue du vers 2, mais le rythme est égal et
anapestique.
Par ailleurs, ce qui nous apostrophe le plus dès le
premier coup d’œil jeté sur le poème, c’est, surtout, la structure analogique
des premiers et derniers vers. A titre d’exemple, force est de constater que le
troisième et le septième vers sont identiques sur le plan formel. Les deux vers
obéissent à la même construction syntaxique, et produisent un effet de
parallélisme entre la première et deuxième strophe. Sur le plan sémantique,
l’identité rythmique et lexicale permet d’élucider le rapport Je-Tu :
Les / va/ches y/
pais/sant/ len/te/ment/ s’em/po/i/sonnent Et/ ma/ vie/ pour/ te/s yeux/
len/te/ment/ s’em/poi/sonne
La métaphore filée autour de laquelle s’organise le
mouvement général du texte peut se formuler ainsi : De même que les vaches
lentement s’empoisonnent, de même le Je du poète qui se charge de l’énonciation
s’empoisonne lentement. Autrement dit, les colchiques (agent) sont aux vaches
(patient) ce que les yeux (agent), c'est-à-dire Tu, sont à l’Ego (patient).
La lecture du premier et dernier vers suffit pour montrer
que le motif du poème est, en grande partie, statique et peu dynamique. La
séquence finale confirme qu’aucun avatar ne s’est opéré depuis la première
phrase. Dans les deux occurrences, le lieu (le pré) et le temps (automne) n’ont
pas changé. Les couleurs, les repères spatio-temporels, les qualificatifs
donnent ainsi l’impression que le lecteur assiste à un tableau.
Le pré est vénéneux mais joli en automne [..]
Ce grand pré mal
fleuri par l’automne
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